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8 décembre 2009

& Graphie et calligraphie

Il n’y a pas loin d’un trait de crayon à une lettre de l’alphabet, peut-être une certaine liberté de courbes pour l’un, de la répétition chez l’autre. Cependant, le trait de crayon d’un dessin ne signifie rien en lui-même. Deux traits parallèles horizontaux suggèrent « égal ». Accolés à d’autres binômes parallèles, ils constituent un corps, couché, debout, en mouvement… Les traits de crayon prennent sens dans la conjonction, le regroupement, tels les fleurs d’un bouquet qu’on assemble. Ils ne signifient pas en eux-mêmes mais participent à une représentation, une figuration.

La lettre, quant à elle, ne manque pas d’esprit, identique d’une fois l’autre. La lettre « a » signifie en elle-même. Répétée à l’infini sur une page, elle évoque un râle, une punition, une prière, une ronde musicale ponctuée d’un point d’orgue. Associée à d’autres lettres de l’alphabet, elle évoque

un « arbre »,

une « aire »,

une « arme »,

etc.

Retranchez une lettre dans « arme » et elle prend de l’ « âme ». La lettre de l’alphabet contient autant de significations que de mots où elle est appelée à figurer, comparaître, pas un de plus, pas un de moins. Il y a là une idée de grammaire, cette mathématique des sens. Dès lors, ordre et méthode sont de rigueur. Point d’improvisation. « Pensée » et « pensé » ne veulent pas dire la même chose, quoique tous deux soient en rapport avec cette curieuse alchimie cérébrale où entrent des lettres, mais aussi (nous l’espérons) des traits de dessin, des odeurs, des sons, des sensations…

La calligraphie et la grammaire se regroupent sous la bannière du « bien penser, bien écrire ». Elles touchent à l’intelligible, à la retenue, à la représentation non pas des choses mais des principes, des idées, des relations. La graphie, elle, veut sentir et se fondre dans les choses. Le trait de crayon est l’exacte conjonction du regard et de la formation de l’image, de la chose et de sa représentation. « Esse est percipii » disait Berkeley. Le trait de crayon (c’est à prendre au sens large, la touche de pinceau…) saisit cette irruption de l’objet perçu dans le regard qui perçoit. Le trait de crayon saisit l’objet dans sa totalité, sans médiation langagière. La grammaire est abolie. L’objet se veut être perçu à l’infini, par autant de crayons avides de saisir. L’approximation, la répétition, la spoliation, la déformation, la diversion sont de rigueur. D’une fois l’autre, l’objet ne se donne pas de la même façon. En face de l’objet, le sujet dessinant se liquéfie. L’objet se donne d’autant mieux que le sujet s’efface.

À l’inverse, le sujet écrivant n’a de cesse d’avoir « retourné » la chose, parlant d’elle par le biais de ses propriétés, de ses modalités, de ses principes. L’objet se dissout dans le regard du sujet écrivant. Parvenu à l’extrémité de sa démarche, le sujet écrivant affronte la solitude de son abstraction. Il ne rêve alors que d’un crayon ou d’un pinceau, pour retrouver les choses dans leur essence.

Le calligraphe n’est jamais aussi heureux que dans sa graphie.

Roland Goeller

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