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5 novembre 2009

Le portable et le corps ou le corps portable

Bientôt, nos portables (téléphones mobiles …) nous permettront de procéder à des opérations bancaires, d’écouter de la musique en se connectant à une sorte de gigantesque big brother musical, de passer commande auprès d’une grande surface et de se faire livrer à domicile un caddy rempli virtuellement. Ils coûteront chers, mais nous n’hésiterons pas à les acquérir, même les plus récalcitrants d’entre nous, séduits que nous serons par la promesse implicite de temps libre et de loisir universel.

Nos portables nous permettent déjà d’assurer de notre indéfectible amour nos parents vieillissants à distance, de filmer nos farces de potache et de les communiquer à la terre entière, de demander à nos conjoints de ne pas oublier de prendre le pain tandis que nous bavardons avec nos maîtresses ou nos amants, de participer, ne serait-ce qu’un peu, à des événements qui se passent loin de nous et desquels nous dirons, oui j’y étais !

Or, qu’entendons-nous lorsqu’on croise un ado déterminé qui dégaine son portable comme John Wayne son colt ? T’es où ? La première question qui fuse, t’es où ? C’est la petite panique du corps. T’es où ? Comme si (rassurez-vous cela ne dure que quelques secondes) il était capital que nous puissions toucher la personne à qui nous voulons parler. T’es où ? Comme s’il était crucial que nous puissions réduire l’incommensurable et inconnaissable distance qui nous sépare de l’autre.

Heureusement, cela ne dure qu’un instant. Car nous nous raisonnons, l’autre est loin, intouchable, inabordable en somme, nous n’aurons que sa voix, et encore, si nous n’avons pas de doute quant à l’endroit où il dit être, car nous devons le croire sur parole, son corps absent ne nous est d’aucun secours. A moins que notre portable ne dispose aussi d’un GPS permettant de le localiser à 100 mètres près.

Le corps est obstiné. Il veut obstinément notre bonheur. Notre corps veut toucher le paquet de nouilles que nous mettons virtuellement dans le caddy. Notre corps veut prendre la main du parent qui meurt quelque part, loin, à petit feu. Notre corps veut sentir la peau du mari, de la femme, de l’amant ou de la maîtresse. Il n’y a jamais eu autant de liaisons clandestines depuis que nous nous sommes mis à croire que les choses essentielles peuvent être faites à distance. Les histoires d’amour se vivent au corps à corps, aucune procuration n’est permise. Les entreprises qui organisent des réseaux grands comme des continents vivent dans un fantasme, leurs salariés n’accordent foi qu’à ceux qu’ils voient et rencontrent physiquement. Une transaction, quelconque, sans au moins une poignée de mains, ne vaut rien. Dire, je t’embrasse, sans le faire, ne vaut rien non plus.

Notre corps veille sur nous. Il s’oppose, d’instinct, au risque que notre rêve de dématérialisation généralisée ne vire au cauchemar. 

Nos corps s’opposent à Big Brother, lequel nous rêve sans corps, ou avec des corps si anesthésiés qu’ils ne ressentent plus rien et sont prêts à consentir aux lieux communs et aux produits pasteurisés.   

(Bon, je vous laisse, je m’en vais acquérir le dernier i-pod !)

Roland Goeller

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Commentaires
L
Bien vu, bien mené. Un texte truculent et résolument moderne, des plus visuels! entre humour et tendresse, spontanéité et réflexion, qui nous livre sans ambages le fruit de judicieuses observations. Un oeil qui ne craint pas de dénoncer nos petits travers, avec ce brin de provocation qu'on lui connaît.
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